Interview : Laurent Grandguillaume
Rencontre avec l’ex-député
Alexandre Sejdinov : Bonjour, monsieur Grandguillaume, merci de nous accorder cet entretien pour répondre à l’interrogation de nombreux chauffeurs de taxi. Même si vous n’êtes plus député, pour les taxis, vous restez celui qui les a défendus avec la loi qui porte votre nom. Or l’article deux de cette loi n’est pas appliqué par le gouvernement, pourquoi selon vous ? (définition de cet article, obligations et conséquences s’il était appliqué)
Laurent Grandguillaume : L’article 2 permet une régulation par la data, c’est-à-dire par la remontée de données des plateformes à l’État (respect de l’assurance, carte professionnelle…). Je rappelle qu’en 2016, il était impossible pour le Gouvernement, en plein cœur du conflit, d’obtenir des plateformes le nombre de chauffeurs Loti que ces mêmes plateformes sollicitaient. Il ne s’agissait même pas de connaître l’identité des chauffeurs, mais déjà juste leur nombre pour mesurer l’ampleur du phénomène et trouver des solutions de sortie à la crise. Les plateformes se sont alors réfugiées derrière le droit existant pour répondre au Premier ministre que leur obligation de communication ne s’imposait que pour les chauffeurs VTC avec le répertoire.
C’est bien pourquoi il y a eu une nouvelle loi, pour réarmer l’État face à ce Far West. Ce qui est arrivé en 2016 peut donc se reproduire hélas demain avec un autre statut si l’article 2 n’est pas appliqué. C’est donc le nerf de la guerre. Sans décret, l’État n’a aucun moyen de régulation par les data dans une économie de la data. Nous sommes restés à l’ère de la glaciation par rapport à ce qui se passe autour de nous. Pour exemple, à New York les chauffeurs sont géolocalisés en temps réel par une agence de régulation, ainsi que leur conformité avec les réglementations en vigueur. Le ministre des Transports est donc pleinement responsable de cette situation de laisser-faire, c’est un choix politique qui vise à protéger certains acteurs plutôt que les chauffeurs et les consommateurs.
Je rappelle par ailleurs que la loi que j’ai portée a mis en place la responsabilisation des plateformes, au même titre que les centrales de réservation, elle a réglé le problème de la concurrence déloyale des lotis, elle a uniformisé et sécurisé les examens professionnels face aux fraudes massives, elle a interdit les clauses d’exclusivité pour les chauffeurs de VTC comme de Taxi. Il reste donc à appliquer l’article 2 pour que l’arsenal permettant la sécurisation des clients puisse être pleinement mis en œuvre.
A.S. : Existe-t-il, un moyen légal, pour obliger le gouvernement à appliquer la loi dans sa totalité ?
Laurent Grandguillaume. : Sous la Vème République, il n’existe hélas pas de moyen coercitif pour obliger le Gouvernement à appliquer la loi puisque c’est lui qui publie les décrets d’application. Seules les élections sont le juge de paix. Par contre, les parlementaires peuvent exercer leur pouvoir de contrôle sur l’exécution des lois comme le prévoit notre Constitution à son article 24. Les parlementaires peuvent donc s’autosaisir du sujet notamment dans le cadre de la Commission d’Évaluation et de Contrôle.
A.S. : Quel rapprochement faites-vous entre le passé et aujourd’hui, les loueurs d’art et les artisans taxi d’aujourd’hui, le statut d’indépendant et son évolution dans le temps ?
Laurent Grandguillaume. : Le sujet majeur du 21e siècle et du travail, c’est le sujet du marchandage. Est-ce que les travailleurs pourront vivre dignement de leur travail ? Ce fut déjà le sujet majeur du travail au 19e siècle : la révolte des Canuts à Lyon ou la révolution de 1848 dont le premier acte des révolutionnaires avec Ledru-Rollin fut d’abolir le marchandage.
En effet, au 19e siècle tous les travailleurs étaient des travailleurs indépendants, le salariat n’existait pas. Nous avons construit le salariat pour protéger les ouvriers.
« Les loueurs d’art », les « artisans », maîtrisaient leur art et vendaient leur prestation en direct à un tarif plus élevé.
« Les loueurs de services », les ouvriers, étaient dans l’exécution de tâches pénibles et confrontés à une multitude d’intermédiaires qui prélevaient une commission sur leur travail, ils étaient paupérisés.
Avec l’ubérisation, on a vu se développer le même phénomène de paupérisation avec les chauffeurs puis avec les livreurs à vélo. L’important est donc de garantir une réelle indépendance du chauffeur ou l’accès au salariat pour protéger les chauffeurs. Le combat des chauffeurs de taxi dépasse leurs propres conditions d’existence, c’est ce que n’ont toujours pas compris beaucoup de responsables politiques. Il ne s’agit pas de défendre une corporation, mais la dignité du travail.
A.S. : Quel est votre métier aujourd’hui ?
Laurent Grandguillaume. : Aujourd’hui, je travaille dans une PME où j’accompagne des consultants et des formateurs. Et bénévolement, je suis engagé dans des think-tanks et essentiellement dans l’association « Territoires zéro chômeur de longue durée » que je préside depuis 2016.
A.S. : Votre implication bénévole dans zéro chômeur de longue durée vous tient à cœur.
Laurent Grandguillaume. : L’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (www.tzcld.fr) est appliquée suite à une loi que j’ai portée également en 2016, et aussi votée à l’unanimité. Elle a lieu dans dix territoires en France. Nous embauchons des personnes privées durablement d’emploi sur des activités de transition écologique, d’économie circulaire, de sécurité alimentaire (maraîchage, circuits courts, permaculture), et des services à la personne. Ces activités n’entrent en concurrence avec personne dans les territoires concernés. Nous avons embauché déjà 915 personnes en CDI, avec une durée moyenne de chômage de plus de quatre ans, et pour 25 % en situation de handicap. Nous bénéficions de l’activation des dépenses passives, c’est-à-dire la mobilisation du coût du chômage de longue durée, pour financer une partie des emplois.
A.S. : Un éventuel retour à la politique en tant que député et/ou maire… dans le futur ?
Laurent Grandguillaume. : Pour moi, être élu n’a jamais été une fin en soi, c’est un engagement au service de l’intérêt général pour un temps. J’ai décidé de revenir à la vie professionnelle, car la politique n’est pas un métier. Je suis toujours engagé dans la politique au sens de la vie de la cité dans le bénévolat associatif avec « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Je suis un homme libre et j’ai vocation à le rester. Je n’appartiens à aucun dogme, à aucune école de pensée, le seul régime auquel j’appartiens est celui de la liberté.
Mais si des circonstances exceptionnelles faisaient qu’un jour nous subissions de graves dangers pour notre nation, je serais bien entendu de ceux qui répondront présent pour agir aux côtés d’autres, et là où je me sentirai utile. J’ai 42 ans et si tout se passe bien j’ai encore beaucoup de temps devant moi pour réaliser de nombreux projets. Et après tout, ma volonté de lutter contre les injustices est aussi vieille que ma conscience.
A.S. : Merci, monsieur Grandguillaume, nous aussi nous luttons contre les injustices à notre niveau de journalistes amateurs.